La première fois que j’ai rencontré Elodie Mondélice, c’était dans un café du XIVe arrondissement de Paris, près d’Alésia. J’étais en retard, et elle avait choisi un endroit pour m’attendre un instant. Et j’ai couru ! Parce qu’avant même de la rencontrer, j’étais séduite par sa démarche artistique… Des couleurs vibrantes, une palette contrastée mais harmonieuse, des bâtiments emblématiques de Guadeloupe… j’avais tellement hâte de discuter avec elle et qu’elle m’en dise plus.
La première impression qui se dégage d’Elodie Mondélice c’est sa très grande douceur. Une voix calme, des gestes posés, des yeux brillants, qui semblent toujours sourire un peu. Mais attention, dans le cas d'Elodie, vous allez découvrir que la douceur n'enlève rien à l'enthousiasme...
Une artiste par nature
Elodie Mondelice a toujours été passionnée par le dessin. Il est arrivé très tôt dans sa vie, avec naturel. Pour elle, dessiner c’est un peu comme respirer. Elle a commencé par dessiner les personnages de ses bandes dessinées, puis des personnages de films, et enfin tout ce qui lui plaisait, tout ce qu’elle cherchait à apprivoiser. Elodie me raconte que son père l’emmenait voir des expositions souvent, et elle se souvient du fort attrait que lui avaient inspirés Braque et Rothko.
La peinture est arrivée plus tard ; elle lui a été suggérée par sa mère pendant une période d’inactivité… Vous savez, quand on perçoit un talent chez une personne proche, et qu'elle ne s'en rend pas compte elle-même ? Alors vous glissez une allusion dans la conversation, vous faites une remarque une autre fois, vous donnez un exemple bien plus tard. Vous laissez l'idée faire doucement son chemin, pour que l'évidence se présente à son propre rythme. Comme une petite bulle qu'on souffle vers le haut avec délicatesse. Aujourd'hui, l'idée de peindre a bien fait son chemin dans l'esprit et dans la vie d'Elodie Mondélice. Et cette pratique a pris de plus en plus de place, au point qu’Elodie se considère comme une artiste professionnelle depuis une dizaine d’année.
“Une fois que j’ai mis les mains dans la peinture, j’en suis tombée amoureuse.”
La peinture c’est un moyen pour elle de s’exprimer, de ressentir les choses, de créer un lien entre l’objet de son intérêt et elle-même, une manière de le faire entrer dans son monde. Elodie met de la joie et de la lumière dans ses toiles. Et en retour, la peinture lui procure beaucoup de plaisir et de sérénité.
Quant à son processus créatif, il est celui d’une personne ultra-sensible : elle peint quand le cœur y est, elle peint quand le temps est beau, elle peint pour voir les couleurs vibrer sur la toile. Parfois, elle peut laisser un tableau de côté pendant quelques semaines ou quelques mois, et y revenir quand le moment est plus propice, quand l’inspiration, l’envie et le temps sont accordés pour qu’elle donne le meilleur d’elle-même.
Laissez-moi maintenant vous raconter comment tout a commencé…
La rencontre avec Ali Tur
Elodie Mondélice est née en Hexagone de deux parents Guadeloupéens. Sa famille venait en Guadeloupe chaque année pendant les grandes vacances, jusqu’à ce que ses parents obtiennent leur mutation et rentrent au pays en 1995.
Alors, Elodie a découvert l’île d’une toute autre manière. En effet, sans voiture les premiers temps, c’est en car que ses parents et elle font régulièrement le trajet entre Capesterre et Saint-François - à l’occasion des visites de famille ou de sorties dominicales. Ils traversent ainsi de nombreuses communes qu’Elodie contemple à travers les vitres. Il y a un bâtiment en particulier qu’elle remarque : l’église de Morne-à-l’Eau, avec son clocher en hauteur et sa façade à étages élégante.
“Je suis tombée sous le charme de l'église de Morne-à-l'Eau, cet édifice monochrome et massif, de style Art Déco, qui contrastait formidablement avec la nature luxuriante, et les toits en tôles rouges des bâtiments avoisinants.”
Une bâtisse qui va exciter son imaginaire, lui donner envie d’en savoir plus, et peut-être même, la diriger vers les études d'architecture qu’elle suivra plus tard. Mais ses études d'architecture en région parisienne ne lui correspondent pas tout à fait. Malgré plusieurs stages, elle se rend compte que dans le métier d'architecte, il y a beaucoup de paperasse, d'administratif, de juridique et finalement trop peu de place pour la création pure.
C'est en Guadeloupe qu'Elodie Mondélice se remet à explorer sa passion. Au hasard des pages d'un vieil ouvrage sur le patrimoine de Guadeloupe, elle se remémore ses souvenirs d'enfance - et fait la découverte d'Ali Tur, architecte français venu en Guadeloupe après le cyclone de 1928. Elle découvre alors qu’il est celui qui a dessiné l’église de Morne-à-l’Eau qui l’impressionnait tant enfant.
Ali Tur arrive en Guadeloupe en 1929 pour reconstruire les bâtiments officiels du gouvernement français : le palais du conseil régional, le palais du gouverneur, le tribunal de justice. Ensuite, ce sont les communes qui font appel à lui pour dessiner les mairies, écoles, ou églises. Il a construit plus d'une centaine de bâtiments en Guadeloupe jusqu'en 1937, un travail colossal !
Fait assez incroyable, c’est Ali Tur qui s’est proposé au gouverneur de l’époque, Théophile Tellier, pour reconstruire la Guadeloupe. Sans aucune attache avec l’île, il s’est dit profondément ému par les ravages et les morts provoqués par l’ouragan Okeechobee. Son objectif est clair :
“Construire le plus vite possible et le plus économiquement possible, dans un pays privé d'industrie du bâtiment et de main d'œuvre spécialisée, une série d'édifices correspondant le mieux possible au climat de cette région des Tropiques.”
Et il est allé bien au-delà de la mission qui lui avait été confiée, formant toute une génération d’ouvriers en bâtiments sur place, reconstruisant dans le style Art Déco de l’époque, et avec très peu de moyens des bâtiments fonctionnels et durables, adaptés aux conditions climatiques tropicales.
Si vous souhaitez en savoir plus, Le livre "Ali Tur, un architecte moderne en Guadeloupe" de Sophie Paviol explique en détails à quel point l'architecte a mis de soin dans ses créations, en réfléchissant à la circulation de l'air, au sens du vent, à l'atténuation de la lumière pour les occupants, tout en concevant des bâtiments esthétiques et solides. En béton armé, ils sont encore debouts pour la plupart, et en service près d'un siècle plus tard ! L’ouvrage "Ali Tur, l'architecte d'une reconstruction" de Michèle Robin-Clerc se concentre sur l'aspect hautement décoratif des bâtiments, il est richement illustré.
Je me suis rendue compte que dans la commune où j'ai grandi aussi, à Petit-Bourg, la mairie, l’église et la gendarmerie ont été dessinées par Ali Tur. Il est frappant de constater à quel point les bâtiments administratifs se ressemblent, pourtant je n’y avais jamais fait attention. Avant de rencontrer Elodie, je n’avais pas connaissance de ce pan de notre histoire.
Et pour Elodie Mondélice, rencontrer Ali Tur a été déterminant, puisque c'est grâce à lui qu'elle s'est mise à peindre éperdument…
Patrimoine & couleurs
Elodie Mondélice a commencé à reporter inlassablement les bâtiments dessinés par l'architecte Ali Tur sur ses propres carnets de croquis. Encore et encore, elle a répété ces formes symétriques, ces volumes imposants, et ces lignes strictes... au point d'avoir envie de les prolonger. Alors, elle s'est mise à étirer les lignes sur le papier, comme un damier qui entoure les bâtiments.
Elle a vu dans ces trames répétées une occasion de réinterpréter les bâtiments de l’architecte. C'est alors que des couleurs vives sont venues combler les formes originelles et celles nouvellement créées. Son art prend le contrepied de l’austérité des bâtiments monochromes. Aux beige, blanc ou gris des édifices, elle substitue une palette de couleurs vives, pleines de gaieté et de lumière.
“Je mets sur la toile ce que j’ai en moi. Je suis une personne très heureuse dans mon coeur, et c’est pourquoi je mets autant de couleurs sur des bâtiments qui sont pourtant monochromes. Je place la couleur comme un souvenir de coucher de soleil sur une façade.”
Elodie Mondélice donne vie aux lignes Art Déco pour constituer un damier vivant, dynamique. Tantôt, le bâtiment disparaît dans une mosaïque de lignes et de couleurs, lui donnant un aspect abstrait. Tantôt le bâtiment ressort sur un fond dégradé, dans une composition plus théâtrale.
La plupart des toiles ont une ou deux nuances principales, mais d’autres comme le clocher de l’église de Morne-à-l’Eau ont énormément de couleurs différentes. Certains spectateurs y ont vu une évocation du madras. Un tissu coloré à carreaux originaire d'Inde, que les femmes créoles ont utilisé pour la confection de la tenue traditionnelle antillaise, et qui fait maintenant partie du patrimoine caribéen.
Elodie Mondélice redonne ainsi vie à ces bâtiments administratifs ou religieux, devenus banals dans les communes de Guadeloupe, usés par les regards quotidiens posés sur eux. Nous passons devant ces bâtiments sans les voir vraiment, alors qu’ils sont une prouesse technique et un miracle sur nos îles. Des bâtiments qui sont la preuve d'une reconstruction menée tambour battant par le talent et le dévouement d'Ali Tur. Des bâtiments qui ont apporté le style des années 30 que l'île n'aurait pas connu autrement. Des bâtiments Art Déco qui font figure d’exception dans toute la Caraïbe. Elodie Mondélice pose sur eux un regard plein de tendresse, et nous encourage à faire de même.
Les œuvres d'Elodie Mondélice
Une passerelle de couleurs entre les cœurs
Quand elle peint, Elodie Mondélice crée un lien entre elle et l’objet de sa toile. Elle crée une passerelle de sentiments à travers les couleurs. Et si, en admirant son travail, vous traversiez le pont pour découvrir une partie de la Guadeloupe ?
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