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L’émotion pure comme support à la création

Dernière mise à jour : 24 mars 2023

La première fois que j’ai rencontré Ylda Decrop, c’était à la Brasserie Pop, au cœur de Jarry. Ce n’est pas par hasard qu’elle m’a invitée à la rejoindre là-bas. La Brasserie Pop est conçue comme un lieu de vie, et c’est là qu’Ylda a pu exposer librement son travail à plusieurs reprises, avec la confiance des gérants. Vous allez le comprendre, Ylda cherchait un véritable foyer pour ses toiles, qu’elle considère comme des êtres vivants.



Ylda Decrop, alias “Adly”, est une jeune femme dans la trentaine, en couple depuis 10 ans, qui vit entre Paris et la Guadeloupe.


J’ai immédiatement été très à l’aise en sa compagnie. Avec Ylda, la conversation roule d’un sujet à l’autre naturellement. Je pressens ce qu’elle va me dire, parfois elle devance mes questions… Et c’est peut-être pourquoi son histoire m’a autant touchée.



La création artistique comme une évidence pour cette hypersensible


Alors qu’elle avait à peine 10 ans, Ylda Decrop passait son temps dans l’atelier de deux peintres renommés en Guadeloupe : Lucien Léogane et Alain Caprice. Des monuments ici, avec lesquels elle a fait ses premières armes. Ils lui ont expliqué le travail de la couleur, elle peignait avec eux. Elle m’explique qu’elle se sentait dans son élément, elle aimait ce qu’elle voyait, elle absorbait tout.


Il faut dire qu’Ylda avait déjà l’habitude d’exprimer sa sensibilité par le biais de l’écriture. Mais au bout d’un moment, elle s’est rendue compte que les mots ne lui suffisaient plus à partager ses émotions. Alors qu’avec la peinture, elle pouvait utiliser les éléments d’un univers illimité pour s’exprimer. Vous savez comme on dit parfois qu’“une image vaut 1000 mots”...


Après un Bac littéraire option Arts Plastiques, elle craint de s’éloigner de sa famille pour partir faire des études d’art. Alors, pendant des années, le quotidien prend le dessus : Ylda apprend un métier, travaille en entreprise, oublie la peinture même.


Ylda me raconte que Frida Kahlo a commencé à peindre pendant sa convalescence. Elle partage cette anecdote, parce que ce sont des problèmes de santé lourds qui lui ont donné envie à elle aussi de revenir à la peinture. Alors elle a retrouvé son alter-ego Adly.


“Même si Ylda souffre, Adly est une autre personne, créative, sans douleur, qui met toute son âme dans l’expression artistique.”

Oui, Adly permet à Ylda de séparer complètement sa douleur de son art. Car Ylda Decrop ne crée jamais lorsqu’elle souffre. Elle connaît le pouvoir d’une œuvre sur les gens. Elle se refuse à transmettre quelque chose de lourd ou de douloureux. Bien au contraire, elle attend que les douleurs s’apaisent pour mettre tous ses bonheurs, tous ses rayons de soleil et le meilleur d'elle-même sur la toile.



Des oeuvres vivantes, comme une extension de l’artiste


Ylda Decrop travaille sur châssis rond, avec de l’acrylique, de la bombe, des pigments poudre, de la résine et… des fibres végétales ! Ylda crée dans sa composition une impression de mouvement, grâce notamment à la fibre qu’elle positionne sans la contraindre, afin qu’elle puisse bouger librement, en douceur. Et pour moi le résultat est là ! La fibre de coco enroulée, les coulures de la résine, la brillance des pigments, la feuille d’or… tout cela apaise l'œil et donne une impression de préciosité.


“Si j’utilise de la feuille d’or, c’est pour sublimer le corps de mes créations. Pour montrer toute la valeur qu’elles ont pour moi.”

Une valeur profonde, puisqu’Ylda considère ses œuvres comme des êtres vivants. Elle crée pour elles :

  • un corps à base de fibre végétale. La fibre de coco a sa prédilection : ce fruit rond, avec de l’eau à l’intérieur, rappelle la gestation. L’eau de coco aurait d’ailleurs une composition similaire au plasma sanguin.

  • une âme : les couleurs représentent la palette émotionnelle de l’homme, et la couleur insuffle une vie émotionnelle à la toile

  • un esprit, qui se construit dans l’interaction avec les spectateurs. Chaque personne, en interprétant librement la toile, lui insuffle une bride de son identité spirituelle.

Vous l’aurez compris, Ylda considère ses œuvres comme des êtres vivants. Mais plus je discute avec elle, plus je me demande si elle ne les considérerait pas comme ses propres enfants… Les formes rondes, comme une matrice… en lien avec la gestation, le ventre arrondi d’une femme peut-être ? En plus j’avais remarqué sur son compte instagram que dans ses pauses photo, Ylda tient ses toiles au centre de son corps, devant son ventre, ou dans ses bras.


Quand je lui pose cette question, je vois ses yeux s’arrondir… puis elle me confie avec douceur qu’avec son endométriose, elle n’est pas sûre d'être mère un jour… Quand Ylda me fait cet aveu, je sens que j’ai la chair de poule et les larmes qui me montent aux yeux.

Comment ne pas être touchée par cette femme de mon âge, qui met toute sa puissance créatrice dans son art ? Qui partage ses émotions les plus belles à travers sa création ?


“C’est vrai, souvent quand je parle de mes toiles, je dis “mes bébés”... Je mets toute mon énergie, toutes mes tripes dans la création.”

Des œuvres en communion avec les spectateurs


La première fois que j’ai été en présence d’une toile d’Ylda, j’ai eu envie de la regarder sous toutes les coutures, de tourner autour. Elle trônait au-dessus de l’accueil d’un immeuble de bureaux. Une toile d’un bleu profond, avec une portion dorée. Tellement de douceur exposée.



Avant qu’Ylda ne me le dise, je comprends que cette toile est en lien avec le temps qui passe... Elle me confirme que l’espace doré de la composition contient quelques grains de sable, en symbole du temps qu’elle prend pour elle lorsqu’elle vient en Guadeloupe. Car rien ne lui procure autant de bien-être que d’aller se ressourcer à la plage. C’est là l’instant doré qui la touche le plus, l’instant dont elle profite. Et comme je la comprends. Étudiante, quand je revenais pour les vacances, je n’avais qu’une hâte après avoir vu ma famille : foncer à la plage pour me remplir les yeux de soleil, de bleu, de scintillement, me remplir les oreilles du fracas et du remous des vagues, me remplir le nez d’odeurs salines… Encore une fois, j’ai l’impression d’une proximité avec Ylda, d’une connivence dans nos goûts et nos vécus. Quoiqu’il en soit son œuvre m’a transmis une émotion profonde, et m’a plongée dans mes souvenirs.


Conçues à partir de fibres végétales et d’émotion positive pure, ses œuvres s’adressent directement à ceux qui les voient. Ylda met tout en œuvre pour laisser au spectateur la liberté d’interpréter son travail. Ses compositions sont abstraites - pour que chacun puisse y voir ce qu’il souhaite, et sans titre - pour ne pas influencer l’autre. Et même en exposition, elle évite de donner trop d’explications sur le rendu final de ses compositions.


“Je veux laisser mon art parler. Je veux que les spectateurs soient impactés par l'œuvre en elle-même. C’est pourquoi j’ai choisi l’abstrait. Moi je vois une technique. Mais si une personne voit un oiseau, alors elle donne une vie à la toile.”

Étant donné son engagement dans son travail, lorsqu’Ylda expose, elle le fait encore avec un peu d’inquiétude. Il y a une idée assez répandue qui dit qu’on ne peut pas entendre que son bébé est laid (d’ailleurs, ça me fait penser à un sketch que j’avais vu il y a longtemps si vous voulez rire). Et bien je pense que c’est ce qu’Ylda ressent quand elle présente ses créations. Une sorte de peur du rejet, en tant que femme, et en tant qu’artiste.


C’est là que son alter ego Adly intervient à nouveau. Car ce n’est pas Ylda qui attend un retour, c’est Adly qui expose son travail et reste stoïque face aux réactions des autres. Ça peut vous sembler étrange, mais honnêtement, je comprends qu’on puisse s’exprimer plus librement lorsque l’on sort de soi-même. C’est ce qu’Adly apporte à notre artiste : une prise de recul conscient, une nouvelle perspective, un espace de liberté même.


Enfin, Ylda souhaite exposer son travail dans des “lieux de vie”. Exactement le même terme que lors de mon passage chez Unibail-Rodamco, pour parler de bureaux, restaurants ou centres commerciaux… Car le promoteur voulait vraiment s’assurer du bien-vivre de ses visiteurs. C’est dans ce but par exemple qu’une toile de Fabienne Verdier avait été installée dans le Hall de la Tour Majunga à La Défense. (Un projet qui avait passionné la stagiaire que j’étais, bien entendu.)


Ylda souhaite sortir d’une vision élitiste de l’art, pour l’exposer ailleurs que dans les musées ou les galeries, pour que l’art soit présent dans nos vies au quotidien. Et ça, c’est vraiment une démarche qui me touche, et avec laquelle je suis en accord.


Le dernier point - le plus touchant peut-être, c’est qu’en installant ses toiles dans des “lieux de vie”, elle s’assure qu’elles continuent à vivre : grâce à du mouvement, des gens pour interagir avec elles, pour les regarder.


“J’ai envie que mes créations aient une belle vie.”

Et vous, êtes-vous prêt à interagir avec les créations d’Ylda ?

 

Les créations d’Ylda Decrop

Fibres végétales et couleurs au service d’une émotion pure



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